Prométhée endetté

Avec un déficit public dépassant 6 % du PIB, la France est au bord de l’abîme budgétaire. À quoi ressemble un État européen quand il dégringole dans le gouffre de la dette ? Pour le savoir, il suffit d’observer la Grèce, pays désormais tiré d’affaire après plus de dix ans de douloureux efforts... L’article Prométhée endetté est apparu en premier sur Causeur.

Jan 22, 2025 - 15:09
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Prométhée endetté

Avec un déficit public dépassant 6 % du PIB, la France est au bord de l’abîme budgétaire. À quoi ressemble un État européen quand il dégringole dans le gouffre de la dette ? Pour le savoir, il suffit d’observer la Grèce, pays désormais tiré d’affaire après plus de dix ans de douloureux efforts.


Le 21 octobre dernier, par un simple communiqué de presse, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé la sortie de la Grèce de son purgatoire financier. Désormais le pays est placé dans la catégorie des « investissements adéquats » (BBB-/A-3), au lieu de « spéculatifs » (BB+/B). La raison invoquée : « Des progrès significatifs ont été réalisés pour résoudre les déséquilibres économiques et fiscaux. » Avec un solde primaire (écart des dépenses et recettes publiques, hors charges d’intérêts) qui s’établit à présent à 2,1 % du PIB, Athènes se positionne au-delà du ratio stabilisant la dette.

Pendant ce temps, chez nous, les nouvelles sont nettement moins réjouissantes. À la fin du mois de septembre, soit trois semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon, le taux d’intérêt des obligations assimilables au Trésor (OAT) émises à cinq ans par Paris a atteint 2,48 %, dépassant pour la première fois le taux grec, qui lui s’établit à 2,4 %. Il faut dire que le solde primaire de la France est négatif, accusant un déficit de 3,5 % du PIB.

Comment la Grèce est-elle parvenue à devenir un meilleur élève budgétaire que la France ? Les raisons ne sont pas seulement à chercher du côté de notre incurie. Depuis une décennie, les Hellènes se sont astreints à un régime d’intense austérité, qui commence à porter ses fruits. Finie l’image désastreuse de l’État faussaire ! On sait que, pendant des années, Athènes a littéralement maquillé ses comptes publics (avec l’aide de la banque Goldman Sachs) afin de bénéficier de la mansuétude de la Commission européenne. Ces illusions lui ont permis de financer un secteur public pléthorique et de développer un système d’aides sociales, notamment de retraites, structurellement déficitaire.

Retour sur les faits

Mais le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers sonne la fin de la récréation. Confrontée au rationnement mondial du crédit bancaire provoqué par la crise des subprimes, la Grèce se retrouve très vite dans l’incapacité d’emprunter à des taux supportables, et doit se résoudre, moins de deux ans après, à appeler l’Union européenne et le FMI à la rescousse.

À la suite d’un difficile compromis, un plan de sauvetage est décidé. Il se déroule en trois étapes : d’abord en 2010, une aide de 110 milliards d’euros (dont 30 prêtés par le FMI) ; puis en 2012, un nouveau versement de 130 milliards d’euros (dont 28 en provenance du FMI) ; et enfin, en 2015, un rééchelonnement de la dette. En échange de cet oxygène, le pays est placé sous tutelle pendant quatre ans. Avec d’immenses sacrifices demandés.

275 000 fonctionnaires (30 % de l’effectif total) sont ainsi congédiés, tandis que ceux qui restent en poste voient leur traitement baisser d’environ 25 %, et leur temps de travail passer de 37,5 à 40 heures hebdomadaires. Le budget des collectivités locales est quant à lui rogné de 40 % ; les dépenses publiques de santé et d’éducation sont abaissées respectivement de 50 % et 22 % ; le budget de la défense diminue de 50 %.

Autres mesures drastiques : le taux de TVA passe de 5 % à 23 %, le seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu est abaissé de 11 000 à 5 000 euros, le salaire minimum est diminué de 22 %. Un programme massif de privatisations est également mené, notamment dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Son illustration la plus médiatique est le rachat d’une partie du port du Pirée par une société chinoise en 2016.

Une purge draconienne

L’inventaire ne serait pas complet si on ne mentionnait pas la situation des retraités, dont les pensions fondent de 15 % du fait de la suppression des 13e et 14e mois auxquels ils avaient droit jusqu’alors. L’âge de départ légal passe de 60 à 67 ans. Le régime des fonctionnaires est aligné sur le privé. Ajoutons, pour finir, une véritable chasse au « travail au noir », rendue possible grâce au développement accéléré des terminaux de paiement par carte.

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La purge est si draconienne que certains dirigeants, comme l’éphémère ministre des Finances Yanis Varoufakis (janvier-juillet 2015), envisagent de sortir de l’euro. Retrouver la drachme permettrait en effet de dévaluer fortement et donc mécaniquement de résorber la dette. Mais cette solution, qui aurait mené la Grèce dans l’inconnu, est vite évacuée. La voie, moins risquée, de l’Union européenne est maintenue.

Le résultat ne se fait pas attendre. Le déficit primaire est résorbé dès 2013, avant de se transformer en excédent à partir de 2015. Toutefois il faut patienter encore cinq ans pour qu’Athènes stabilise enfin sa dette, dont le niveau culmine à 207 % du PIB en 2020 – elle s’est repliée à présent en dessous des 160 %.

Le retour de la jeunesse

Derrière les chiffres, il y a les innombrables histoires individuelles, souvent douloureuses. Nikos, un entrepreneur franco-grec dans l’immobilier, témoigne du traumatisme provoqué par la crise. « J’ai été presque ruiné et j’ai dû abandonner une partie de mes activités faute de pouvoir payer mes employés, se souvient-il. Le pays va mieux, mais clairement ce n’est plus comme avant : les salaires sont plus bas et le système de protection sociale est devenu l’ombre de lui-même. »

Éprouvé, Nikos n’est pas abattu. Il affiche même un certain optimisme : « On avance, se réjouit-il. Un bon signe, c’est qu’on voit des jeunes revenir. Beaucoup étaient partis chercher du travail en Europe de l’Ouest. »

Le cas grec ne peut que parler aux Français : même tendance aux dépenses accélérées, même dépendance à l’emprunt public, même croyance dans le père Noël européen ! Avec un déficit attendu à 6,1 % du PIB pour l’année en cours et malgré un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, notre pays est à l’heure des choix. Au bord du gouffre, nous aurions tout intérêt à nous réformer avant que d’autres ne nous forcent à le faire sans nous donner voix au chapitre. À cet égard, la France a sans doute une leçon grecque à prendre.

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