Jean-Marie Le Pen et ses anciens lieutenants: scissions en fanfare, réconciliations en sourdine
Entre scissions explosives, retrouvailles discrètes et un soupçon de rancune jamais vraiment digérée, les histoires de Jean-Marie Le Pen avec ses anciens lieutenants prouve qu’en politique, on se quitte souvent… mais on ne se perd jamais vraiment de vue ! Nous avons interrogé Jacques Bompard, Carl Lang, Jean-Claude Martinez et Bruno Mégret... L’article Jean-Marie Le Pen et ses anciens lieutenants: scissions en fanfare, réconciliations en sourdine est apparu en premier sur Causeur.
Entre scissions explosives, retrouvailles discrètes et un soupçon de rancune jamais vraiment digérée, les histoires de Jean-Marie Le Pen avec ses anciens lieutenants prouvent qu’en politique, on se quitte souvent… mais on ne se perd jamais vraiment de vue ! Nous avons interrogé Jacques Bompard, Carl Lang, Jean-Claude Martinez et Bruno Mégret
Ils ont été collaborateurs, compagnons de route, fidèles lieutenants, amis et parfois intimes de Jean-Marie Le Pen. Puis ils l’ont quitté, affronté, combattu dans les urnes. Bruno Mégret, Jean-Claude Martinez, Carl Lang, Jacques Bompard : tous ont joué un rôle important au sein du Front National avant de le quitter avec fracas pour in fine retrouver Jean-Marie Le Pen au soir de sa vie. Témoignages.
Avec Le Pen, tout commence par une rencontre…
Jacques Bompard adhère au Front à sa fondation en 1972 et Carl Lang en 1978. Tous deux étaient des nationalistes convaincus qui voulaient en découdre. Simplement, le Front National est alors un groupuscule dépassé au sein même de la droite radicale par le Parti des Forces nouvelles. Ses scores sont groupusculaires (0.75% pour Jean-Marie le Pen en 1974). Pourquoi ce choix en apparence peu avantageux ? « J’ai estimé, compte tenu de la personnalité de Le Pen, ancien député, candidat à la présidentielle, que c’est le FN qui était le plus à même de faire vivre nos idées. Je souhaitais faire de la politique sur un terrain électoral que délaissait le PFN » assure Carl Lang, qui confesse « Quand je deviens secrétaire départemental dans l’Eure, on me transmet le fichier. Nous sommes deux adhérents dont moi-même ». Mais Le Pen est le seul qui dans leur famille politique parait taillé pour le rôle de leader : « Quels qu’aient été les scores électoraux, on ne s’était pas posé la question d’arrêter ou de continuer. Aucun soupir à aucun moment… Tout était possible » raconte Carl Lang. La foi du charbonnier…. Ils étaient sensibles à son charisme, son talent et supportaient au quotidien sa grande gueule. Pour rencontrer le succès, il suffisait que les Français la connaissent. Avec le coup de Dreux avec Jean-Pierre Stirbois en 1983, le passage à l’Heure de vérité en 1984, Carl Lang voit un basculement : « Les salles se remplissent d’un seul coup. 2000 personnes, 3000 personnes là où nous pouvions faire des réunions à cinquante auparavant ». Les européennes de 1984 sont une consécration : 10.95 % des voix et dix élus. Pour Le Pen comme pour ses lieutenants, c’est la fin d’une longue traversée du désert. Figurant désormais parmi les partis qui comptent au niveau national, le Front National cherche à recruter des gros poissons : « Nous faisons élire en 1986 au bénéfice de la proportionnelle un groupe d’une remarquable qualité » assure Carl Lang. Trente-cinq députés parmi lesquels des avocats, des chefs d’entreprise, des professeurs de droit, des polytechniciens, et non la bande de soudards poujadistes avec laquelle siégeait Le Pen en 1956… Parmi eux, le Professeur Jean-Claude Martinez (major à l’agrégation de droit public), élu dans l’Hérault, et Bruno Mégret, sorti de X et de l’école des Ponts et Chaussées, élu dans l’Isère. Comment Le Pen réussit-il ces débauchages ? Bruno Mégret avait alors sa propre structure, les CAR, comités d’action républicaines, lancés dans la foulée de l’élection de Mitterrand. Mais le succès du Front National le prend de vitesse. Il devra donc passer par Le Pen s’il veut faire de la politique. Pour le rencontrer, il lui faut un intermédiaire : « C’est Patrick Buisson, partisan de ce rapprochement qui nous met en relation.Une relation de confiance s’établit d’emblée ». Quand Jean-Claude Martinez rejoint Jean-Marie Le Pen, l’universitaire est déjà un trublion médiatique : auteur d’une lettre ouverte aux contribuables alors bien relayée notamment par le Figaro Magazine, défenseur de la Nouvelle Calédonie française, ancien conseiller fiscal d’Hassan II… « Ma rencontre avec Le Pen, c’est quand même du roman » plaisante-t-il avant d’énumérer avec délectation le défilé d’intermédiaires improbables (« Le cabinet du roi du Maroc, un médecin de la clinique Necker, Jean Raspail, l’Irak et même Yves Mourousi ! ») qui de fil en aiguille l’amènent à diner avec Le Pen « qui me donne tout de suite du Monsieur le professeur ». Le richissime baron de Montretout restera toutefois pingre ce soir-là : « Je pensais qu’il allait m’inviter, ce qui ne fut pas le cas ».
Les députés ne sont pas réélus en 1988 mais Le Pen réalise un beau 14.39 % à l’élection présidentielle. L’histoire du FN continue. Jacques Bompard est élu maire d’Orange en 1995. Jean-Claude Martinez, Carl Lang et Bruno Mégret redeviennent députés européens. Ce dernier parvient à faire élire son épouse maire de Vitrolles en 1997. Il prend un réel ascendant sur l’appareil du FN qu’il aimerait perfectionner : « En 1988, lorsque j’ai commencé à me déplacer en province à l’invitation des fédérations, je me suis rendu compte que le parti était en effet très fragmenté. Telle fédération par exemple était principalement composée de militants défenseurs des artisans commerçants et PME style poujadistes, d’autres étaient monopolisées par d’anciens partisans de l’Algérie française comme d’autres l’étaient par des adeptes de la Nouvelle droite. Et bien-sûr, ces courants avaient tous des représentants à l’échelon national, une situation qui pouvait être source de tensions », raconte Bruno Mégret. Ce Front National d’autrefois, très militant, étoffé de forts caractères, inspire une tendre nostalgie à ses anciens cadres : « J’ai rencontré au Front National des personnalités exceptionnelles », assure Carl Lang, citant par exemple Michel de Camaret, ancien résistant et député européen. Jean-Claude Martinez prend l’air aventurier pour raconter des anecdotes improbables : « Je me retrouve en voyage en Irak, planté en plein désert à voir le recteur de Babylone discuter de la réintégration au FN d’un militant de base de Montpellier avec le Pen. »
Guerres de scission
Pourtant, quelque chose finit toujours par coincer entre Le Pen et ses lieutenants : « Il y avait depuis le début entre lui et moi une différence fondamentale d’approche. Lui vivait cette aventure politique comme un parcours personnel, qui lui permettait d’exprimer ses convictions tout en lui apportant la célébrité et une forme de reconnaissance sociale. Le parti n’était à ses yeux qu’un accessoire », reconnait Bruno Mégret qui rêvait d’un parti structuré et professionnel qui puisse survivre à son fondateur. Mais la personnalité de Le Pen écrase tout et la réitération des dérapages et scandales du président du Front National est mal vécue en interne. « On les subissait… il cassait le travail local que l’on faisait » soupire Jacques Bompard. Même constat, du côté de Bruno Mégret : « Les militants, les cadres et les élus ont éprouvé un agacement croissant, considérant que Le Pen ruinait le travail qu’ils menaient sur le terrain. »
A force de crispations, de non-dits et de rivalités pour le contrôle de l’appareil, les choses finissent par exploser. 1998-1999, c’est la spectaculaire scission. Bruno Mégret défie ouvertement l’autorité de Jean-Marie Le Pen, lequel cherche à le marginaliser. L’ancien numéro 2 est alors exclu du FN, fonde le MNR, est candidat aux présidentielles de 2002 mais plafonne à 2.34% des voix. Si Le Pen accède cette année au second tour de la présidentielle, il perd dans la scission l’essentiel de son appareil partisan. Tout le monde est perdant. « Très extraverti, il avait les qualités pour être sur la scène et j’étais très heureux de pouvoir faire pour le parti ce travail de construction politique qui me passionnait », se souvient Bruno Mégret. Pour Carl Lang, « les torts sont partagés mais la scission a été calamiteuse pour tous. Avec un peu plus de psychologie, cela aurait pu être évité… » Bompard, Martinez et Lang avaient pris parti pour Le Pen contre Mégret mais seront à leur tour exclus. D’abord en 2005 pour Bompard qui conteste la normalisation idéologique du parti opérée par Marine Le Pen et se replie sur son fief d’Orange. « Nos relations se dégradent à partir de 2003. Jean Marie le Pen était entré dans une logique de front familial » assure Carl Lang qui est exclu après avoir monté en 2009 une liste européenne dissidente face à Marine Le Pen, investie dans sa circonscription du Nord-Ouest. Il lancera son propre parti, le Parti de la France mais qui ne prendra jamais… Dans la circonscription du Sud-Ouest, Jean-Claude Martinez est prié de s’effacer devant Louis Aliot. Il présente de son côté sa liste, se ramasse et s’en amuse aujourd’hui : « Le Pen a dit voyant mon score, « le professeur Martinez a voulu être candidat et a fait 0.92 % des voix ! »
Comment expliquer la répétition de ces conflits qui n’ont profité à personne ? Il fallait faire de la place à Marine, laquelle désirait déjà pousser la vieille garde lepeniste vers la sortie pour mener à bien sa stratégie de dédiabolisation. Bruno Mégret et de nombreux cadres ont compris assez tôt que le scandale empêcherait toujours un FN lepeniste de s’emparer du pouvoir : « Les raisons qui ont conduit à la scission sont les mêmes que celles qui ont conduit Marine Le Pen à exclure son père en 2015 ». Pourtant, aucune grande engueulade ou explication collective n’est venue en amont calmer le chef et peut-être éviter le drame d’une rupture. « Personne n’aurait osé le critiquer… » reconnait Jean-Claude Martinez. « Son parti, c’était son bateau. Il était le seul maitre à bord, après Dieu. C’était sa psychologie et sa manière de fonctionner. Il n’y avait pas de place pour la contestation du chef », assure Carl Lang. « Le Pen n’aimait pas les élus locaux qui pouvaient avoir une certaine indépendance », déplore Jacques Bompard.
Ça s’en va et ça revient…
Le Pen n’a jamais souhaité être un égal parmi ses lieutenants, mais empereur parmi ses sujets ! Pourtant, alors qu’approche la dernière heure, il semble s’être laissé aller à la nostalgie mélancolique des souverains déchus. Le conflit avec sa fille en 2015 conduit Jean-Marie le Pen à lancer la réconciliation générale. Cette dernière aura d’ailleurs lieu à son initiative. Il appelle Carl Lang dès 2015 presque aussitôt après sa propre exclusion du Front : « Nos liens se sont renoués facilement… Quand on a connu des épreuves, des années difficiles, le lynchage politique… Nous avons pratiqué le pardon mutuel des offenses », raconte ce dernier. De leur côté, MM. Bompard et Le Pen se réconcilient en 2021. « C’est une réconciliation, mais chacun restera sur ses positions concernant la scission dont nous n’avons en réalité jamais reparlé », assure Bruno Mégret, qui avait déjà repris langue avec Le Pen en 2006 et l’avait même soutenu pour les présidentielles de 2007 sans parvenir à un accord politique durable. Les deux hommes se reverront plus tardivement à l’initiative de Jean-Marie Le Pen. Un diner à Paris a notamment réuni en 2022 les anciens ennemis pour les cinquante ans de la fondation du Front National : Lang, Martinez, Mégret, mais aussi Bruno Gollnisch sont alors réunis autour de Jean-Marie Le Pen. A aucun moment pourtant, les retrouvailles n’ont permis aux anciens lieutenants de vraiment solder le passé. Cette fuite devant la confrontation, même vingt ans après, peut étonner chez quelqu’un comme Le Pen qui n’était pourtant pas un dégonflé. Mais, le tribun volubile a aussi eu ses silences… Révèlent-ils la faiblesse d’un homme qui redoutait la concurrence, ou au contraire le caractère de marbre d’un chef sûr de son destin et refusant jusqu’au bout de s’expliquer ? Mystère…
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