Entre Mélenchon et le PS, une fracture inéluctable, des risques considérables
Jean-Luc Mélenchon reproche au Parti socialiste de n’avoir pas voté la censure du gouvernement Bayrou. Quelles seront les conséquences d’une fragmentation de la gauche lors des prochaines élections ?
Alors que Jean-Luc Mélenchon a violemment attaqué le Parti socialiste pour avoir négocié avec François Bayrou et refusé de voter la censure, que restera-t-il de l’unité à gauche lors des prochaines échéances électorales, municipales, législatives ou présidentielle ?
Jean-Luc Mélenchon a jugé que le Parti socialiste n’était plus un « partenaire », après la décision de ce dernier de ne pas censurer du gouvernement Bayrou. La rupture semble donc consommée au sein du Nouveau Front populaire. Mais les menaces (placer des candidats LFI face aux socialistes lors des prochaines législatives) seront-elles mises à exécution ? Plus largement, quelles seraient les conséquences de la fin de l’alliance prévalant à gauche depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 ?
Il est nécessaire de revenir sur la façon dont s’est noué ce conflit ouvert pour bien comprendre ses enjeux et évaluer ses perspectives.
Acheter le PS pour un plat de lentilles ?
Depuis sa nomination en janvier, le nouveau premier ministre, François Bayrou, avec un soutien parlementaire aussi faible que son prédécesseur Michel Barnier, n’avait que deux solutions pour tenter de durer : s’appuyer sur le Rassemblement national, ce que son prédécesseur a tenté de faire en vain, ou négocier avec la gauche – ce qu’il a fait.
Le PS, les écologistes et les communistes ne sont donc pas allés chercher Bayrou : ils ont accepté sa main tendue pour négocier. Ce fut donc une rupture par rapport à leur choix de censurer Michel Barnier dès sa nomination.
Reste que, lors de son discours de politique générale, François Bayrou a peu concédé au PS – se limitant à réunir les partenaires sociaux sur la réforme des retraites – sans doute sous la pression des macronistes et d’Emmanuel Macron lui-même. La décision du PS n’était donc pas écrite d’avance, et la décision de censurer ou de ne pas censurer a divisé les socialistes.
Après le discours du premier ministre devant les députés, les critiques de LFI – consistant à dire que les socialistes allaient se vendre pour un plat de lentilles – pouvaient paraître fondées. Jean-Luc Mélenchon a ainsi estimé que les concessions accordées aux socialistes étaient « grotesques », et que « ceux qui ne votent pas la censure sortent de l’accord du NFP ».
Pourtant, au lendemain de son discours de politique générale, les socialistes ont forcé François Bayrou à aller plus loin dans ses concessions. Sur la réforme des retraites, le premier ministre s’est finalement engagé à ce qu’un nouveau débat parlementaire ait lieu si ces négociations entre partenaires sociaux n’aboutissaient pas – prenant le risque que la réforme soit abrogée ou fortement modifiée.
Par ailleurs, d’autres concessions importantes ont été faites pour obtenir la non-censure du PS. On peut citer la réduction d’aides et de niches fiscales des entreprises (Crédit d’impôt recherche), la fiscalité des bénéfices et revenus financiers, les 4000 postes d’enseignants préservés, la non-augmentation du ticket modérateur pour des médicaments et actes médicaux. Ces mesures ont un impact direct sur le quotidien de beaucoup de Français modestes et le PS a pu se prévaloir de « victoires » concrètes.
Les écologistes pris entre deux feux
Si la tension au sein du NFP porte essentiellement sur le tandem LFI – PS, il est intéressant d’analyser la position particulière des écologistes, placés en position charnière.
En s’efforçant de séduire les socialistes, François Bayrou a totalement oublié les écologistes qui se sont sentis humiliés alors même qu’ils avaient joué le jeu de la négociation. Ils réclamaient un investissement substantiel en faveur de la transition écologique et n’ont pas été entendus, bien au contraire. Lors de son discours devant le Parlement, le premier ministre a fait des déclarations directement inspirées des positions de la FNSEA, attaquant les normes vertes et les contrôles assurés par les agents de l’Office français de la biodiversité.
Les écologistes avaient donc toutes les raisons de censurer François Bayrou mais cette décision de censurer – avec LFI et les communistes – a eu pour conséquence d’isoler les socialistes. Marine Tondelier, consciente de ce problème, a annoncé vouloir poursuivre les négociations avec le gouvernement jusqu’au budget. Elle a également critiqué « le vocabulaire humiliant » choisi par Jean-Luc Mélenchon pour critiquer le PS. Sa ligne, définie dès la création du NFP, est donc restée constante : apparaître comme la garante de l’unité de la gauche.
Suicide collectif
Jusqu’où ira le conflit ? Au-delà des invectives, Jean-Luc Mélenchon a affirmé que « des candidats portant un programme de rupture » seront présents face aux socialistes lors des prochaines législatives.
Cette menace de guerre « nucléaire » représente d’une stratégie à haut risque, non seulement pour les socialistes, mais aussi pour LFI et toute la gauche. Elle favoriserait non seulement le RN, mais permettrait à nombre de députés macronistes de sauver leur siège.
Par ailleurs, on ne peut faire l’impasse sur les élections municipales qui auront lieu en mars 2026. À cet égard, la stratégie de LFI semble être de multiplier ses propres listes plutôt que de s’inscrire dans une perspective d’union au premier tour – alors même que les maires sortants des villes les plus ancrées à gauche sont socialistes ou écologistes.
On peut donc se demander si la dramatisation actuelle de la « trahison » du PS n’est pas aussi un moyen de légitimer cette stratégie qu’on voit d’ores et déjà à l’œuvre à Villeneuve-Saint-Georges, longtemps fief communiste, où Louis Boyard, parachuté, a bâti une liste sans concertation avec le PCF, les Verts et les socialistes locaux.
Bataille pour l’hégémonie à gauche
Les tensions actuelles et à venir pour les municipales révèlent que le conflit entre le PS et LFI est sans doute inéluctable, censure ou pas. Ce qui est en jeu, c’est la question du leadership à gauche, une question posée depuis 2017 et qui n’a toujours pas été tranchée.
Jeau-Luc Mélenchon, malgré son relatif succès à la présidentielle de 2017 réitéré en 2022, n’a pas réussi à s’imposer pleinement comme le leader de la gauche et à substituer LFI au PS. Faute de disposer d’un parti puissant et présent sur tout le territoire, entre 2017 et 2022 les élections intermédiaires (locales et européennes) ont été un calvaire pour les insoumis : elles ont permis aux autres partis de gauche de se maintenir.
En 2022, Jean-Luc Mélenchon a pris acte de la situation et changé de stratégie en lançant la Nupes, acceptant de jouer le jeu d’une alliance de toute la gauche et en abandonnant sa stratégie populiste. Fort d’un groupe parlementaire conséquent (75 députés) et d’un programme commun largement inspiré par ses propositions, LFI était en position pour favoriser le travail en commun. Ce fut un échec : le fameux parlement de la Nupes n’a jamais été sérieusement investi, très peu de travaux en commun ont été menés au sein de l’Assemblée nationale. Cette absence de coordination s’est payée d’un prix très cher lors du débat sur les retraites.
Cet échec à faire exister la Nupes à l’Assemblée nationale et dans la société s’explique beaucoup par la nature de LFI, qui est un parti construit pour l’élection présidentielle et pour son chef. Qui lui fait de l’ombre est rapidement poussé dehors comme l’a montré la non-investiture d’anciens proches lors des législatives de 2024 ou le traitement réservé à François Ruffin. Cette configuration complexifie les relations avec les autres forces de gauche. Dans un parti comme LFI, il n’y a place que pour des soutiens, pas pour des partenaires, car cela poserait automatiquement la question de la légitimité de Jean-Luc Mélenchon à représenter toute la gauche.
Avant même la nomination de François Bayrou et la non-censure du PS, la stratégie de LFI consistait d’ailleurs à affirmer que leur candidat était le meilleur, torpillant la possibilité d’une primaire unitaire de la gauche. A partir de là, était-il possible d’imaginer une coalition qui tienne ? Les opposants à la ligne d’Olivier Faure au sein du PS n’ont eu qu’à se baisser pour ramasser cet argument, prouvant que LFI ne concevait l’union qu’à ses propres conditions.
Vers un duel Mélenchon-Hollande ?
Depuis 2022, aucune avancée n’a eu lieu pour construire une candidature unique à gauche. Jean-Luc Mélenchon répète à l’envi vouloir être remplacé mais ses troupes continuent de penser qu’il est le plus apte à se présenter. Ce faisant, le leader insoumis est le meilleur allié objectif de François Hollande car il pousse le PS à avoir un candidat à l’élection présidentielle. Or, faute d’autre candidat de sa trempe et de sa notoriété, l’ancien président pourrait bien s’imposer comme la seule voie de salut possible. Sans candidature de Jean-Luc Mélenchon, une marginalisation de François Hollande et une démarche pour une primaire générale de la gauche serait en revanche possible.
Alors qu’en France, en Europe et dans le monde, l’extrême droite s’impose partout, la question de l’unité de la gauche et sa capacité à faire front est aujourd’hui criante. Sans unité, il n’existe aucune chance de victoire alors que les partis de gauche et les écologistes ne réunissent désormais pas plus de 30 % des électeurs.
Frédéric Sawicki ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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